PREMIERE PARTIE
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EPISODES
1 - LA FILLE DU MENHIR
Le ciel était gris, de toutes les nuances de gris, du noir clair jusqu’au blanc cassé, avec parfois un liseré noir bordant les nuages. Ceux-ci couraient à la poursuite du vent d’ouest, en laissant filtrer par brève impulsion, un rai de soleil, comme un appel de phare d’automobiliste pressé. Le vent hurlait sa rage de ne rien trouver sur sa route. Rien d’autre que quelques jeunes goélands joueurs et imprudents. Les parents se sont mis à l’abri par expérience prévoyante. Même sans voir l’océan, on pouvait deviner sa colère. Le vacarme tonitruant des flots violents, explosant sur la côte de granit tailladée depuis des siècles, s’intégrait avec celui du vent dans une symphonie terrifiante. A quelques pas du rivage gris rose, ou admirait les gerbes d’eau froide qui s’élevait dans le ciel à une hauteur incroyable. Il se formait une sorte de mur aux milliards de gouttelettes étincelantes, figées pendant une éternelle seconde, avant de retomber lourdement, en masse, s’étalant, en mares.
L’océan déployait son énergie colossale. Ce titan de la nature, mugissait sourdement, grisâtre comme le ciel qui cherchait à l’étouffer. L’horizon s’était éclipsé. L’horizon n’aime pas la mêlée. Il lui faut un monde calme, net, propre. Il se tient toujours loin du bruit, du tumulte ou du brouillard. C’est un solitaire qui aime bien se faire voir. Impossible dans cet ambiance catastrophique. Des troupeaux d’écumes blanches chevauchaient les creux comme des cratères volcaniques que des montagnes d’eaux troubles soulevaient avant de les jeter sur les falaises rocheuses, comme une lave conquérante. Mais il s’agissait d’une bave marine qu’au ressac suivant, une aspiration phénoménale hurlant un gargouillement monstrueux, extirpant le liquide bouillonnant des anfractuosités, des gorges étroites, des recoins, des grottes sous-marines, comme autant de bras tentaculaires d’une pieuvre géante arrachant les varechs, les crustacés, les coquillages les moins résistants.
3
« L’océan fait le ménage ! » pensa Armelle avec sa trivialité coutumière. Solidement campée, jambes écartées rivées au sol par des bottes que cachait un pantalon de toile épaisse et serrée elle contemplait les éléments en gonflant se poumons d’une respiration ample pour lutter contre le froid humide que le vent poussait contre elle. Elle resta longtemps, les bras enroulés dans son châle lourd tricoté de grosse laine à maille serrée et bouilli au premier lavage pour en rendre la trame étanche. Elle se tenait comme un oiseau de mer, aux ailes repliées face au vent, pour ne pas être pris à rebrousse-plume.
Soudain, elle se retourna, et partant à grand pas, elle cria :
- On rentre à Brocéliande, Obélix !
Surgi de nulle part, un énorme berger allemand se mit à tourner autour d’elle en courant et sautant de joie, visiblement content de quitter cet endroit inhospitalier. Le nom du chien venait sans doute du fait qu’il prenait soin de marquer son territoire au pied de ces monolithiques appelés : menhirs. Après un bon quart d’heure de marche, ils traversèrent la route pour suivre le chemin de Brocéliande : une petite ferme restaurée cachée de la route par un petit bois de vieux arbres tordus serrés et entrelacés. Dès son entrée, elle jeta son châle sur un fauteuil, attrapa le tisonnier, dégagea les braises de la couche de cendre, mit une bûche et avec le soufflet, aida le feu à reprendre en l’attisant. Obélix continait à tourner autour d’elle dans l’attente du repas.
On a jamais su vraiment comment Armelle était née. On l’appelait Armelle car c’était le seul nom auquel elle consentait à répondre. Ce qui était bien pratique finalement pour obtenir une signe de sa part. Du côté de Quimper, on disait qu’elle était issue de la Pointe du Raz, où, un jour d’équinoxe, la marée l’avait posée sur un rocher qui ressemblait à un menhir. A Brest, les vieilles affirmaient avec autorité qu’elle venait de Carnac où elle était née entre deux menhirs. Donc, l’accord se fit : elle était la « fille du menhir ». Cela lui donnait un statut. Tout le monde était rassuré. Cela vous pose un personnage quand on vous donne un nom !
Et quel nom, taillé dans la pierre des hommes.
Parce qu’en plus c’était quelqu’un, cette fille-là ! pas question de lui clouer le bec ! ah non alors ! Certains prétendirent l’avoir entendu, les nuits de tempête, chanter au bord de la falaise de granit, face à l’océan. Armelle avait quelque chose de surnaturel qui suscitait crainte et admiration. Un ami de Concarneau m’a raconté l’autre jour au téléphone, avoir entendu parler d’elle jusqu’à Concarneau :
- Tu sais aux Pêcheries, ils disent que, quand les cloches des églises de Bretagne sonnent, elles font : « Ar.. melle, Ar.. melle ». C’est la vedette locale ! Elle doit avoir du charisme, la donzelle !
Bref, la Providence veillait sur elle.
Ce qui n’empêchait pas Armelle d’avoir une vie comme tout le monde et des enfants, qui, comme tous les autres, vaquaient (ou dérivaient, selon les goûts !) à leurs occupations avec un baladeur diffusant entre leurs oreilles le groupe Tokyo Hôtel, que les chants traditionnels des marins bretons. Au grand désespoir de leur mère, qui avait sans succès essayé de les intéresser aux chanteurs locaux : Tri Yann, Gilles Servat, Jean-Michel Caradec.
« La Méduse faisait du vélo »
« Sur la plage de Saint-Malo. »
« Les crabes et les crustacés »
« En avait assez de se faire écraser. »
- Au moins c’était de chez nous, se dit-elle en riant de son chauvinisme. Elle se chantonnait ainsi les airs de son époque rebelle. Elle était toujours nostalgique les soirs de tempête.
Son téléphone mobile vibra. Elle frémit d’aise. Elle aimait cette vibration. Elle appréciait, attendant que l’appel cessa. Elle n’avait pas envie entendre quelqu’un. Quand le mobile ne ronronna plus sur sa cuisse, elle le sortit de son jean pour qui avait appeler. Elle sourit. C’était un message. Un SOS, comme elle disait souvent.
2 - « LA RUCHE AUX MOTS »
Malgré son allure placide et souvent désinvolte, le bon Cornélius en intimidait plus d’un. Il faisait partie intégrande du mobilier d’une des plus célèbre librairie du pays picard. Etait-ce à Compiègne, à Abbeville, Creil ou Albert ? A moins que ce ne fut tout bonnement à Amiens, je ne sais plus. J’ai tant voyagé, que tout se mélange. Mais ce qui est sur, c’est que la librairie de madame Labeille, que les habitués appelait Fabiche, était renommée et très courue par les esprits curieux. Car on pouvait y trouver l’introuvable, en matière de livre, et que si on ne l’y trouvait pas, on ne l’y trouverait nulle part ailleurs. Extérieurement, la boutique ne payait pas de mine. Je veux dire qu’elle n’avait pas le style ultra-moderne aux grandes vitrines de verre du sol au plafond ceinturées de néons colorés et flamboyants, et de plaques glacées et scintillantes de paillettes irisants des supports noirs et des étagères d’une blancheurs éblouissantes. Non, rien de tout cela.
La devanture avait conservé son style « Belle Epoque », centenaire, en bois, plaqué sur les piliers de pierre de l’immeuble, encadrant une vitrine haute soutenue par un épais panneau de chêne massif, flanquée à sa gauche d’une porte qui secouait une clochette au tintement aigrelet quand on la poussait. Tout ce bois extérieur était proprement repeint d’un orangé pâle tirant sur le jaune, donnant l’aspect du miel. Le coffrage, qui camouflait le rideau de fer pour la fermeture et le store pare-soleil ainsi que leurs mécanismes respectifs auxquels madame Labeille avait fait adjoindre un moteur électrique remplaçant l’ancienne manivelle, supportait ce nom célèbre représenté par une belle calligraphie soignée, noire et italique : « La Ruche Aux Mots ». L’allure surannée de la boutique la rendait presque anachronique au milieu du mobilier urbain neuf qui ornait les trottoirs et la petite place ombragée par queLques tilleuls survivants d’une époque où les maires étaient plus soucieux d’offrir de l’ombre à leurs administrés que d’implanter des parkings payants sur le moindre espace non lucratif. Autour de la place, fleurissaient donc piquets, barrières d’acier interdisant les stationnements illicites, poubelles au design recherché, abribus publicitaires, bancs publics plastifiés inaltérables aux intempéries, et surtout le grand panneau électronique central diffusant les annonces locales et municipales, fierté du premier citoyen de la commune. Dans ce décor, la librairie se découvrait avec un air « tendance » prisé des jeunes et un air « rétro » attirant les moins jeunes en mal de nostalgie.
L’intérieur du magasin était fidèle à sa réputation. Même la patronne ignorait combien de titres étaient disponibles. Dès l’entré, apèrs l ‘escalade d’un seuil de deux marches, des présentoirs à tourniquet tendaient des casiers en forme d’alvéoles aux clients que l’oisiveté ennuyait et qui espérait trouver un apaisement à leurs pensées vagabondes agressées de soucis quotidiens. Policiers, suspenses, science-fictions, romans à l’eau de rose, histoires drôles ou fantastiques, livres érotiques et recueils de mots croiés, tout cela se mélangeait sans vergogne au gré de l’humeur des fouilleurs qui voulaient tromper leurs angoisses pendant une heure ou deux. Le choix facile. Vite payé. Vite lu. Ce genre de client revenait souvent comme drogué par un oubli de soi passgé et trop court, empreint de la soif insatiable d’un plaisir éphémère.
Les mordus du style, de l’auteur de talent ou à succès se jetaient sur les rayonnages accrochés au mur, chargé d’ouvrages de collections au format de poche. Sans respect des collections éditoriales, madame Labeille classait tous les titres par auteur, rendant aini la recherche plus aisée en lisant les noms et les titres sur les tranches des bouquins. Au pied des murs se trouvaient des sortes de comptoirs bas allongés comme des banquettes aux casiers pleins d’albums de bandes déssinées et sur le plan du dessus s’étalaient les dernières nouveautés, comme celles primés au Salon d’Angoulème. Sur le mur d’en face à droite de l’entrée, les rayonnages étaient du même genre, en bois, mais avec un intervalle différents permettant la présentation des éditions originales aux formats habituels. En bas s’étendaient les plus grands livres, concernant l’art, pictural ou photographique, les atlas, les encyclopédies, les documents richement illustrés sur la vie des animaux ou des grands hommes, les sports… L’espace entral était scindé en trois allées bordées par quelques gondoles, proposant pêle-mêle des guides pratiques, de petits jeux de sociétés, des jeux de cartes, des livres pour enfant, et aussi, par une grande table sur tréteaux proposant les best-sellers et les découvertes de nouveaux auteurs, choisis par Fabiche Labeille elle-même, indifférente aux modes des salons parisiens.
Si madame Labeille dirigeait le commerce, Cornélius en était le gardien. Au connu que la librairie et sa propriété, d’apparence placide et nonchaland, il intimidait pourtant les clients qu’il fixait d’un œil rond et inquisiteur. Ses moustaches semblaient former une parabole à l’avant de sa tête, comme pour amplifier son flair à sonder les moindres faits, gestes et intentions de ce qui se passait devant lui. Quand il marchait droit devant lui avec souplesse, chacun s’écartait avec respect comme si ce fut le seigneur des lieux. Malgré sa petite taille, Cornélius paraissait grand. Quand il entrait ou sortait de la librairie silencieusement, il y avait toujours quelqu’un pour lui tenir la porte.
Mais un jour, un drame affreux survint. Lors de l’entrée fracassante d’un jeune distrait pénétra dans la boutique chaussé de ces patins à roulettes modernes, qu’on appelle rollers et dont les quatre roues se suivent. Cornélius avait la phobie de la roue, quelqu’en fut la taille. Sursautant, horrifié, il se mit à courir vers l’arrière-boutique, pertubant l’équilibriste. Celui-ci fit un vol plané en battant l’air de ses bras, accrocha un présentoir, qui s’éffondra près de lui en lui jetant un ouvrage sur le crâne. Madame Labeille accourut. Le jeune homme se releva, rouge et confus, une bosse sur la tête et le livre à la main. Elle l’obligea à s’asseoir pour s’assurer qu’il n’avait rien de grave, lui posa une compresse alcoolisée sur la bosse, en s’excusant pour la maladresse de Cornélius. Le client était désolé et tint à acheter le livre. A la caisse il tendit un jeu de carte. Etonnée, la librairie choisit la carte bancaire en se demanda s’il allait se rappeler du code. Le jeune homme lut le numéro de compte sur la carte, en extraya la racine cublique avant de la multiplier par la fraction de seconde en suivant la tangente de ses rollers.
Fabiche était éberluée. Quand le client fut parti, elle s’adressa à Cornélius :
« Quand même, il était charmant ce jeune homme ! »
Cornélius n’approuva pas.
De retour chez lui, le Professeur Trognon jeta son livre sur son bureau, et retourna vers l’entrée, pour retirer ses rollers. Il fila dans la salle de bain, histoire de se refaire une santé, en utilisant le principe d’Archimède pour détendre ses pieds doulourement gonflés.
Dans son petit appartement parisien, il vivait éloigné de ses racines normandes. Ses parents avaient tenté de le pousser vers des études sophistiquées qu’eux-même n’avaient pu bénéficier. Comme son père, ancien charpentier de marine, qui avait vu disparaître les navires en bois, il aimait les les voiliers, la physique des fluides, astrophysiques et les points cardinaux. Pour faire plaisir à sa mère pharmacienne, il avait passé sa thèse en chimie organique. Cela répondait à une exigence testamentaire de son arrière grand-père maternel : le Docteur Typhon. Ce dernier, comme de nombreux savants de son temps, ne s’était pas cantonné à la recherche médicale. La culture humaniste déclenchait chez tous ces personnages un besoin de connaissance dans les domaines.
La conséquence de ces études pluridisciplinaires avait conféré à Périn Trognon, le titre prestigieux de professeur émérite et l’estime de ses collègues chercheurs. Outre la gloire, il recueillit aussi le cadeau testamentaire du docteur Typhon, que le notaire lui remit avec d’infinies précautions. On est jamais trop prudent. Le docteur Typhon avait des relations le redouté Alfred Nobel, inventeur de la dynamite.
En fait, on ignorait ce qu’était devenu cet aîeul. Il avait disparu tout simplement. Comment ? Quand ? Où ? Pourquoi ? Toutes ces questions étaient restées sans réponse au grand désespoir de sa femme et de sa descendance. Mais ce qui avait intrigué le plus, est le fait qu’il avait peu de temps avant qu’on s’aperçoive de cette absence, un acte testamentaire avec la mise en dépôt chez un notaire de ses amis, ancien camarade de lycée, en qui il avait toute confiance.
Quand Pépin avait ouvert la boite, il tourva une lettre posée sur une grosse masse compacte de ouate, qui protégeait une fiole. Il décacheté le pli et commença à lire :
« Toi qui me lit, j’espère que tes compétences sont suffisantes pour comprendre ce qui a pu m’arriver. Dans le doute, abstient-toi d’utiliser ce qui reste du résultat de mes travaux sur les différents types de sirop.
Mes dernières recherches portaient sur le rajeunissement des organismes vivants. Je crois avoir trouvé la bonne formule. Seulement, elle n’est pas stable. Car, après la cure de rajeunissement, les souris se remettent à vieillir et il m’a semblé qu’elle vieillissaient encore plus vite.
J’ai donc réalisé un élixir encore plus puissant enrichi d’une molécule d’un conservateur plus stabilisant. Les premiers résultants sont étgranges. Les sujets (végétaux ou animaux) disparaîssent totalement sans résidus, sans trace, comme s’ils n’avaient jamais existé. Je n’ai donc plus le choix. Je dois essayer le sirop pour savoir ce qui se passe. J’ai foi dans l’avenir et j’espère que vous arrriverez à me faire revivre grâce aux travaux les plus récents.
Bonne chance et merci
Docteur Zéphir Typhon
N.B. : une seule goutte suffit ! »
Grand sceptique, Pépin avait souri, regardé la fiole et son étiquette au style écolier d’autrefois. Il admira l’inscription violette faite à la plume que la boîte avait protégée de la lumière : SIROP TYPHON.
Il avait rangé la boîte dans le coffre-fort où il rangeait se travaux les plus confidentiels craignant le vol intellectuel ou la risée des confrères suivant le type de recherche menée, pas toujours très orthodoxe.
Car comme tout chercheur de très haut niveau qui se respecte et malgré son esprit entraîné à éviter les obstacles épistémologiques, il avait « le défaut », l’idée fixe : l’ouest.
En effet, de tous les points cardinaux : l’ouest était une véritable obsession. Il n’avait pas à comprendre pourquoi on persistait à utiliser le nord comme référence d’orientation. Quoi de plus trompeur que ce nord magnétique ? il ne cessait de bouger, de se déplacer. On avait même prouver que, dans le passé, les pôles s’étaient inversés à plusieurs reprises, et plus grâve, à certaines périodes, les champs magnétiques s’étaient subdivisés en plusieurs zones disparates. De quoi affoler les boussoles les plus honnêtes !
Alors que l’ouest. Il est là. Il ne bouge pas, lui. La Terre tourne, mais il ne bouge pas. Même en tournant plus vite, elle n’arrivera pas à le lacher
Et l’Est, c’est pareil ! eh bien, non, pas du tout. Tiens bon la barre du navire, pour aller en Amérique, il faut aller vers l’ouest, mais pour revenir vers l’Europe, donc à l’Est, il faut remonter vers le Nord. C’est incroyable, mais c’est exactement la route suivie par Christophe Colomb et qui marche encore aujourd’hui. Contrairement à celle qu’ont suivie les Vikings. Ils ont essayé en partant du Nord vers le Sud en suivant les côtes. Ils ont laissé tomber.
C’est pareil pour les avions, ils vont plus vite à aller à l’Ouest qu’à en revenir. Curieux n’est-ce pas ?
Comme d’habitude, le Professeur Trognon en était là deviser dans sa baignoire, quand, peu à peu, lui apparut les yeux. Il se plut à les contempler, avec les cils qui frémissait doucement. Le doux regard de la libraire le fixait attentivement, puis devint rassurant. « Rien de grave ! » avait-il entendu. Il comprit qu’il avait été tout de même choqué, au point que pour la première fois de sa vie, il avait pris un livre, sans savoir lequel. Il avait vraiment perdu le Nord !
Il n’arrivait pas à se souvenir comment il était tombé. Il avait le sentiment qu’on l’avait poussé ou entravé, dans son champ de vision, il avait cru voir. Mais rien de net. Il subsistait seulement le parfum de la dame en noir. L’image de Baudelaire se juxtaposa à celle du « Lotus bleu ». Tiens ? Pourquoi Tintin ? Sa mémoire lui jeta un mot : « Opium ». Il sursauta. Il avait oublié qu’il était dans l’eau.
Il se secoua, s’ébroua en sortant du bain. Il se sentait fatigué, alla se couché sans dîner.
4 - L’APPARITION ET LES VOIX
Lorsqu’Armelle se réveilla, elle était engourdie et engoncée dans le fauteuil. Elle s’arracha péniblement. Elle s’était donc assoupie près du feu, sans s’en rendre compte. La tempête avait été de courte durée. La pendule montrait cinq heures. Elle vit qu’Obélix la contemplait. Elle lui fit une flatterie et alla prendre un douche. Cela acheva de la reveiller et la détendit. Elle s’habillat prestement. Elle voulait aller dehors. Elle sortit avec son chien, fou de joie à l’idée d’une balade. Armelle aimait aller dans la campagne, avant le lever du jour. Encore lui fallait-il se lever tôt. C’était le cas aujourd’hui. Obélix courait parfois partout, dans tous les sens, revenant à toute allure jeter sa tête, la truffe la première, à l’interieur de la main d’Armelle, se caressant de lui-même pour la remecier de cette promenade imprévue. Elle riaient, le tançant doucement :
- doucement, mon gros !
Elle avançait d’un pas lent et souple en amortissant le bruit de ses bottes, en direction opposée du petit bois fendant les herbes folles de la prairie qui tentaient d’étouffer un vague petit chemin. Il menait à l’aven, pour ensuite le contourner, et aboutir à un petit monticule. Après avoir marché pendant trois kilomètres, elle fut au pied de la petite colline que surmontait un dolmen. La table du monument reposait paisiblement sur ses pieds.
Elle grimpa, arriva essouflée. Il était temps. Le soleil allait poindre. Elle s’assit sur une souche qui semblait avoir été amenée pour cela. Armelle attendait. Le ciel s’éclaicissait rapidement, lumineux, sans nuage. Armelle baissa la tête regardant sous la table du dolmen, laquelle était orientée est-ouest. Obélix s’était couché près d’elle, patient. Quand le rayon apparut, le cœur de la femme se mit à battre fort et sa respiration se suspencdit, et resta bouche bée devant l’image qui se formait. L’intéreur du dolmen se comportait comme un prisme. L’image fugitive s’imprima dans le cerveau d’Armelle. Elle avait fermé les yeux, pour la garder en elle. La lumière augmenta rapidement. Le soleil se déployait dans son entier, interdisant tout regard dans sa direction sous peine de brûlures oculaires irrémédiables.
En revenant, Armelle fut occupée par Obélix qui avait déniché un crapaud dans les hautes herbes. Elle avait faim, et pressa le chien qui abandonna à regret sa proie, qui fila sans demander son reste. Une fois, à Brocéliande, elle donna sa gamelle au berger allemand et déjeuna avidement, puis tenta d’écouter la radio en finissant doucement son café encore chaud. Songeuse, elle n’arrivait pas à se concentrer sur les nouvelles quotidiennes que crachait le transistor entre des publicités hurlantes. Au bout d’un moment, elle finit son café et éteignit la radio et alla allumer son ordinateur dans le séjour, et pendant que la machine s’éveillait lentement, elle retourna débarrasser la table et fit la vaisselle pour se défaire l’esprit et le corps des contraintes matérialistes pour se donner à cette vocation nouvelle qui occupait l’essentiel de ses loisirs. Elle lisait. Non, pas pour elle, mais pour les autres.
Elle avait en effet, depuis moins d’une année, découvert la lecture à haute voix, au profit de ceux qui ne le pouvaient pas. Elle était devenue « donneuse de voix », lectrice pour les autres. Elle le ressentait comme un bonheur d’avoir la possibilité de transmettre sa passion pour les auteurs bretons, de partager les textes qu’elle aimait et y trouver la sensation de ne plus être seule à vivre ses passions littéraires. Lorsque l’ordinateur fut prêt, elle approcha le microphone, cliqua sur le logiciel d’enregistrement, puis , d’un autre clic, fit apparaître le texte de sa lecture à l’écran.
Elle déclencha la mise en route du magnétophone virtuel, et se mit à lire avec une voix calme et puissante, le timbre était à peine voilé, juste de quoi créer une sorte d’intimité. Les débit était régulier, mais avec un phrasé mélodique, qui suivait les ondulations rythmées des phrases, en respectant les pauses faites de points et de virgules. Sa voix s’élevait, s’interrogeait, s’exclamait, sans violence, mais avec sureté. Elle lisait avec conviction, sure de son choix de lecture, avec la confiance de séduire ses auditeurs, pour les emmener avec elle, à la découverte d’une Bretagne oubliée, de gens au caractère trempé de luttes terriennes et de conquêtes marines, à la recherche de la gloire ou de leur avenir paisible. C’était selon…
Obélix, allongé droit, près d’elle, avait calé sa tête, bien alignée, sur ses pattes de devant. Ses oreilles, dressées, semblaient guetter les moindres variations de tonalité. Les chapitres succédaient les uns aux autres…
La voix chaude emplissait la pièce silencieuse. Tous les objets retenaient leur souffle de peur de déranger la liseuse, même le vieux réveil, avec son nounours animé essayait d’harmoniser ses tics avec tact et s’accorder au rythme du phrasé mélodique.
Cornélius se perdait dans le profil de sa maîtresse. Il perdait la notion du temps, mais il savait que c’était dimanche, car ce n’était que le dimanche que la librairie étaient fermée. C’est le jour où Fabiche lisait. Elle enregistrait quelques chapitres de plus. Elle progressait lentement, avec cette sérénité qui encourage l’effort. Elle avait, elle-aussi, cette puissance vocale, résultat d’un long entraînement oral. Les cordes vocales musclées se tendaient et détendaient en utilisant le soufflet pulmonaire pour assembler les phonèmes, les uns aux autres, élaborant des phrases dont la signification naissait d’une manière qu’on eut pour croire surnaturelle. Et plus sur, cela était surnaturel.
On aurait presque pu croire que Cornélius comprenait ce langage, tant la diction était à la fois fluide et distincte. Et à bien y penser cet enchaînement avait quelque chose de miraculeux, de fascinant. Fabiche avait déjà remarqué le comportement curieux de Cornélius. Il recherchait toujours une position particulière quand elle lisait. De même, lorsqu’elle mettait la chaîne Hi-Fi pour écouter de la musique, il s’installait différemment, et trouvait toujours dans la pièce l’endroit idéal pour entendre en parfaite stéréophonie. Elle avait vérifié en se mettant au même endroit. Un soir, elle bougea très légèrement la balance. Elle constata avec un sourire amusé qu’il était vraiment mélomane. Il leva la tête, comme si quelque chose n’allait pas, comme dans le malaise. Enfin, il se décida, se leva, tourna un peu et finit par trouver une nouvelle place. Elle s’attendait bien sur à ce manège, mais cela l’étonna quand même, comme le scientifique, qui se doute du résultat calculé de son expérience. Elle restait émerveillée de l’instinct mélomane de Cornélius. Elle se posa alors la question :
- Est-ce que tous les chats sont mélomanes ?
Pendant ce temps, une femme blonde, penchée elle aussi sur un microphone, confiaiit à son ordinateur, les déductions subtiles d’un Sherlock Holmes ou d’un Rouletabille, en attendant de pouvoir s’attaquer à Arsène Lupin, donc les droits tommeraient dans le domaine public, en 2011. Le temps passait si vite. Pour l’heure, Son Altesse Royale De Lorenbär, héritière du trône de l’île du même nom, aujourd’hui disparue au cœur de la Mer Baltique, assumait le rôle de donneuse de voix. En fait, elle avait refusée la vie dorée et mondaine du grand monde, qu’elle pouvait revendiquer sans difficulté du fait de sa naissance et de sa fortune familiale. Elle préférait se plonger dans une existence risquée, dangereuse et imprévisible. L’occasion de changer de nom se présenta lors de ses premiers stages. Pendant un vol reliant Paris-Orly à Toulouse-Blagnac, un passager, fort de sa gouaille occitane, l’interpella à plusieurs reprises sous divers prétextes en l’affublant du vocable de « Lorelei ».
D’abord, cela l’agaça, puis l’amusa si bien qu’à la fin du voyage, elle décida d’en faire son prénom. Car, elle avait horreur de son prénom donnée par sa grand-mère, qui était aussi celui d’une célèbre héroîne du non moins célèbre « Muppets Show ». Ensuite, elle découpa son nom en tranche, ce qui le fit transformer en Lorelei Loren. Comme elle ne ressemblait pas à Sophia Loren, personne n’osa lui demander si elle avait un lien de parenté avec l’actrice italienne. Du coup, elle demanda la naturalisation en faisant un changement de nom avec pour argument, la francisation du nom. Ce qui fut curieusement accepté. Lorelei Loren était française !
En fait, elle se garda de se vanter qu’elle la devait aux services secrets. En effet, la D.G.S.E. (Direction Générale à la Sûreté Extérieure ) était sous ce nom administratif, le service d’espionnage de l’Etat Français. Les dirigeants avaient repérés facilement cette jeune femme au charisme incontestable, connaissant outre le français, les langues scandinaves, germanique , finnoise, baltes, russe, et maîtrisait à la perfection la langue de Shakespeare. Ils souhaitaient en faire un informateur, et rien de plus. En effet, Lorelei était considérée comme trop voyante pour jouer un rôle. Or, c’est justement cela qui la rendait invisible et insoupçonnable. En plus elle était tellement voyante, qu’elle parvenait à deviner les plans de ses adversaires, y compris ceux de sa hiérarchie. Ainsi au fil des missions, elle était devenue S.A.R. , l’agent invisible connu seulement de trois directeurs des services spéciaux. Sa couverture était hôtesse de l’air, et son hobby la lecture.
Quand à Niko Latekno, qui était lui aussi, un « donneur de voix », il procédait différemment. Passionné de haute technologie, il s’était équipé d’un matériel haut de gamme, complétant son ordinateur d’un baladeur enregistreur, plus maniable, facile à transporter, lui assurant la capacité de profiter de toute opportunité de temps et de lieu pour enregistrer. Une fois sa lecture achevée, il transférait ses fichiers sons vers son ordinateur portable. Il nettoyait, purifiait, enjolivait, agrémenté de musique ou de bruitages venant, à propos, illustrer l’action, ou qui créait une ambiance appropriée. C’était un perfectionniste recherchant en quelque sorte, une mise à « scène » sonore. Rendre ainsi un spectacle visuel en théâtre ou film auditif ! c’est ce(te gageure qui le poussait à en faire plus. Cela donnait d’ailleurs d’excellents résultats, ponctués par des commentaires élogieux aussi bien de la part de ses collègues que des auditeurs, internautes avides de « livres audio » et de nouveautés dont les arragements étaient de plus en plus sophistiqués.
Tout cela rassurait Valentin Blondault. Lui même, maîtrisait la technologie informatique, ce qui lui permettait de réaliser son rêve. Créer un site utile, aux personnes ayant du mal à lire du fait de leurs défaillances visuelles. En fait, le site réussissait au-delà de toute espérance, car il prenait une allure internationale. En effet, de nombreux visiteurs ne venaient pas seulement pour télécharger des lectures, pour un aveugle, une mamie victime de la cataracte, mais aussi pour eux-même. Certains avaient du mal à lire, parce qu’ ils ne savaient suffisamment lire, et du coup, ne comprenaient pas ce qu’ils tentaient de déchiffrer, parce qu’ils étaient étrangers, étudiant le français, parce qu’ils s’ennuyaient et qu’une voix qui lit, qui parle les rassuraient mieux qu’une musique de fond, qui ne les harcèle pas comme font les émissions de radio, parce que.. rien.. simplement pour entendre autrement que leur voix intérieure et sentir autrement les mots.
Tintin, ainsi que Valentin était appelé par les copains, avait malgré cette réussite, éprouvait des difficultés imprévues. Il était fortement préoccupé par les problèmes juridiques liés aux doits d’auteur. Bien que son site internet reposa sur la gratuité et la liberté de téléchargement, il était soucieux car il avait découvert récemment que les droits d’auteur étaient terriblement contraignants. Il avait du se résoudre à retirer un grand nombre de texte. Devant cette mauvaise nouvelle, les « donneurs de voix » décidèrent de redoubler d’effort. Après tout, il restait une quantité considérable d’ouvrage déjà tombés dans le domaine public. Et puis, de toute façon, ce qui a déjà été fait , tombera bien un jour dans le domaine public et deviendra à nouveau disponible.
5 - PAGES BRULANTES
Le livre était sur le bureau, dans sa pche de papier. Il gisait en plein milieu, sur le sous-main, de travers, comme un produit de la chasse, jeté sur une table de cuisine. Malgré son inertie, son emballage, il se faisait provocateur, arrogant, insistant. Pépin, entrant dans la pièce, après avoir déjeuné. La vision du livre le gifla et acheva de le réveiller. Habituellement, comme il l’avait décidé dans son organisation hebdomadaire de ses travaux, avait réservé le dimanche, à une action sociale auquel il attribuait une grande valeur morale. Il était « donneur de voix ». il estimait que c’était une grande mission. Il s’agissait de transmettre le savoir. Le livre était à ses yeux, le véhicule suprême de la connaissance, de la science, de la découverte du monde, de l’histoire du passé, de la civilisation, de toutes choses nobles qui élève l’esprit par l’éducation. Mais, ce livre-là, il l’avait complètement oublié.
Le professeur Trognon s’approcha du bureau, attrapa la poche, l’ouvrit et en tira le bouquin. Il était broché avec une couverture coloré, arborant un titre qui le surprit :
FAHRENHEIT 451
Par
Ray BRADBURY
Comme c’était curieux. Un ouvrage de science ? se disait-il. Sans le laisser réfléchir, le hasard lui aurait lancé un volume traitant des échanges thermiques, ou sur les conséquences physiques des hautes températures.. mais en page de titre, il vit sous le titre, le mot « Roman ». Etrange litre pour un roman. Décidément, que de surprises. Il se décida à s’installer confortablement dans son fauteuil, près de la fenêtre. Il se mit à lire, sans s’arrêter, du début à la fin. Captivé, il avala page après page sans se relever. Quand il eut fini, il resta songeur, le livre sur les genoux.
Ce n’était pas vraiment de la science-fiction, mais plutôt de la politique-fiction. Cela racontait les tribulations d’un pompier dans une société, qui interdisait le livre. Les pompiers avaient pour mission justement l’élimination de tous les ouvrages et de leurs propriétaires. Les médias (télévisés en tête) jetaient d’une propagande de consommation et une communication d’un style proche du réel qu’on appelle aujourd’hui « télé-réalité » ou « reality-show », utilisant une technique de direct, avec des mises en scène, préparées et mensongères s’il le faut. Le titre du livre était en rapport avec niveau thermique qui déclenche la combustion spontanée du papier en présence de l’air.
« C’est tout un symbole. » pensa le professeur, « un livre qui parle de la destruction des livres ! »
Il était enthousiaste, surexcité. Il démarra son ordinateur portable, qui se mit à ronronner, qui bipa. L’écran s’alluma. Le système d’exploitation lança sa musique de générique tel un héraut ouvrant un tournoi de chevalerie. Pépin cliqua sur son navigateur « Vapartout » et rejoint le site de lecture audio auquel il était affilié. Il contacta alors ses amis et leur proposa de présenter ce livre comme étandard ou comme symbole du site. La proposition étonna Valentin qui traouvait bizarre de faire d’un seul livre, la représentation de tous les autres. Surtout que ce livre n’était pas dans le domaine public.
Le professeur Trognon était désappointé. Sa déception était à la hauteur de son espérance soudaine. Il ne se reconnaissait plus vraiment. Lui si mesuré d’ordinaire, s’enflammait. Cet ouvrage l’avait pris aux tripes et exprimait exactement l’importance qu’il donnait aux livres.
Son cerveau bouillait à 232,78 °Celsius ! il eut alors une idée fumante !
il retourna à «La Ruche aux mots » dès le lendemain. Madame Labeille faut ravie de le revoir et s’excusa pour l’accident causé par Cornelius. Pépin éluda d’un geste vers sa tête montrant qu’il avait complètement oublié sa bosse. Il grimaça en la touchant provoquant le fou-rire de la libraire. Il lui parla du livre et comme il souhaitait trouver une solution pour que celui-ci soit accessible à tous, il voulait organiser une réunion. Avait-elle une salle. Amuésée et séduite par la fougue du jeune homme, elle proposa son arrière-boutique : celle qui contenait les livres les plus anciens. Elle lui fit visiter. Il fut stupéfait en voyaent cette pièce qui semblait d’un autre temps. Les murs étaient couverts de bibliothèques d’époques et de styles variés, boisées, à portes battantes, ou à vitres coulissantes, certaines possédaient un abattant pouvant se transformer en pupitre ou en secrétaire, d’autres étaient recouvertes d’une tenture de velours vert ou rouge sombre. Des murs de livres. Vieux. Anciens. Très anciens. Les livres étaient tous reliés, on sentait l’odeur de ce vieux papier, mêlée à celle du bois ciré, un mélange doux, sans aggressivité. Les reliures qu’on pouvait apercevoir, étaient en carton, en peau, en cuir, en tissus. Certaines portaient des inscriptions dorées visiblement faites à la main. Cela devait dater de l’apoque où le livre était encore un artisanat et non une industrie.
Au centre d’un très grand tapis composé de carreaux blancs et noirs, trônait une splendide table rectangulaire, allongée, légèrement arrondie sur tous les bords. Le plateau était épais, incroyablement épais, au moins dix centimètres. Pépin ne doutait pas une seconde. Les moments de son enfance, passé auprès de son père, ancien charpentier de marine, à travailler le bois, lui avait appris à percevoir intuitivement la matière végétale la plus brute, la plus serrée à la suite d’un long séchage naturel, en plein air.
- Du chêne.. du chêne massif ! pensa-t-il ébahi.
- Alors ? cela vous convient-il ? fit Fabiche engageante avec un sourire au coin des lèvres et le cil frémissant. Elle avait retiré ses lunettes.
- Oui, c’est.. c’est somptueux, parvint-il à articuler.
Cornélius était affalé au milieu de la table, et le comtemplait, l’air lointain, comme s’il regardait un objet d’art, comme l’œil du lion regardant sa proie alors qu’il n’a pas faim. Le professeur Trognon sentir un frisson lui parcourir le dos et sursauta. Décidément ce chat le mettait mal à l’aise.
- pardon ? fit-il.
- Je disais : pour quand voulez-vous la réunion ? insista Fabiche en s’aprochant de lui. Il sentit à nouveau le parfum, l’envelopper doucement.
- Heu, vendredi soir ?
- Ah, c’est que le lendemain je travaille.., dit-elle avec un air de reproche.
- Ah, je .. pardon.. comment faire..
- Et le samedi soir ? , elle inclinait la tête, avec un sourire radieux.
- Ah ben, oui, bonne idée, exactement, le samedi soir.. c’est évident pour les utres aussi.
Il la remercia chaleureument. Elle s’amusait de son trouble. Il lui dit au revoir de mille manières. Quand il fut parti, elle se tourna vers Cornelius, et lui fit d’un air enchanté :
- il est vraiment trop charmant ce jeune homme !
La réunion devait rester secrète, aussi Pépin envoya des messages textes par téléphone mobile et non par internet à ses correspondants. Comme Valentin ne semblait pas approuver son idée, il décida de ne pas le solliciter. Nico Latekno fut le premier à répondre. Il était « ok ! ». Toujours pressé, mais précis, il avait la ponctuation parfaite. Ce court message avait fait sourire le professeur. Ah, il le reconnaissait bien là, ce Nico, toujours partant pour un truc sans savoir vraiment où cela menait. Voilà bien un aventurier comme on en fait plus. Ingénieux, des gadjets o l’utilité inattendue dans les poches. C’était vraimment un ami précieux.
Un jour plus tard, ce fut Lorelei qui répondit :
- ça tombe bien, j’ai repos ce week-end, c’est chouette de se retrouver en vrai !
En effet, c’était une bonne occasion de faire connaissance ! pensa-t-il. Il connaissait le goût de cette hôtesse de l’air pour les romans policiers. Elle devait donc avoir des capacités de déductions logiques et une connaissance de la psychologie humaine développée, non seulement par ses lectures, mais aussi par ses pratiques professionnelles. Et puis, bon, autant se l’avouer, le côté planant de son métier, le faisait fantasmer un peu aussi. Bon. Il rit tout seul, se traita d’idiot. De toute façon, elle lisait bien, cela au moins c’était sur !
Armelle fut la plus longue à répondre. Le message arriva le vendredi soir, la veille de la date prévue. Pépin eut un soupir de soulagement. Le message était court lui aussi : « ok j’arrive ». il l’aimait. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Peut-être son langage carré, direct. Elle émanait la puissance de la terre, armée de certitudes. Un mélange de foi et de rocs formaient une âme résistante aux doutes et aux événements. Sur ce qu’il savait d’elle, dans ce qu’elle lisait, dans ce qu’elle écrivait, on retrouvait de cette Bretagne traditionnelle, rustique et maritime, attachée aux réalités.
Soulagé, il reprit ses études et ses travaux sur la chimie de la pomme.
Les produits du terroir normand ne le fascinaient pas vraiment. Mais il se souvenait que le Docteur Typhon prétendait tout faire avec les pommes. Il rechercha donc le plus de documents possibles que son arrière-grand-père avait laissé sur la pomme et ses nombreux dérivés chimiques. Par exemple, la pomme crue avait des propriétés désaltérantes, alors que, cuite, elle attisait la soif. Il lui trouvait aussi de pouvoir de jouvence, à condition de la manger sur l’arbre. Ce qui fit rire Pépin, qui imaginait son aïeul croquant la pomme à cheval sur l’arbre. Quand au cidre, il considérait son pouvoir reconstituant indéniable. Les bulles permettaient aux travailleurs de force, d’évoluer avec moins de peine. Quand à l’alcool de pomme, il avait carrément des vertus curatives antimicrobiennes si perfomantes, que, son seulement on pouvait traiter les rhino-pharingites, les rhumes, les grippes avec du calvados, pincipalement dans la compote de pomme, mais aussi la tubercule, les pleurésies, les bronchites et de nombreuses affections respiratoires avec des inhalations de vapeur d’alcool de pomme contenue dans des barriques de chêne.
Pépin avait un sourire ingénu devant ces « remèdes de bonne femme », que prolongéait une certaine tendresse pour cet ancêtre ayant travaillé de longues heures sur un sujet, un peu suranné de nos jours.
- Encore que, pensa-t-il. C’est vrai que la pomme est recommandé contre l’hypercholestérhémie et qu’elle a un pouvoir anti-oxydant. Quelque part, c’est bien le fruit de la jouvence ! et pour le calva, son utilisation pour chouter le malade, et provoquer une hyperthermie passagère aide le corps à lutter quelque temps contre l’aggression microbienne. C’est juste un petit coup de pouce à la réaction de défense de l’organisme contre les germes pathogènes. Après tout, ça peut se défendre, mais bon, faudrait pas en abuser non plus !
Il trouva un cahier de brouillon, qui comportait de nombreux schémas crayonnés représentant des tuyaux bizarres avec quantités de récipients, de plus en plus gros. Cela finissait par constituer des circuits étranges avec des calculs chimiques en marge et des cotes définissants la longueurs des tubes et les dimensions des boules, dans lesquelles étaitent indiquées les volumes. Pépin était redevenux très sérieux. Il y avait trop de détails pour être une simple élucubration, une fantaisie imaginaire, comme cela lui arrivait souvent à lui aussi. Non, c’était trop précis, trop minutieux, chaque schéma était une évolution du précedent, parfois une amélioration, mais dans quel sens, parfois un changement de direction. Le cahier semblait fonctionner comme un arbre, avec des brindilles mortes et d’autres qui se développaient un peu plus. Il était stupéfait. Cela devait représenter des années de travail. Un truc a givrer complétement une bande de mathématicien de haut vol.
Il avait pris une calculette, mais il la rangea aussitôt se traitant d’imbécile. Il ouvrit la liaison de son ordinateur vers les gros calculateurs de l’université. Il travailla tard, très tard. Le temps n’existait plus. A chaque nouvelle formule qu’il tapait sur le clavier, répondaient des milliers de lignes de code. Hallucinant. Quand le défilement s’arrêtait, il restait bouche bée quelques secondes, avant de réaliser, qu’il fallait entrer la formule suivante. Et les calculateurs répondaient encore, sans hésiter. Cela paraissait presque trop facile. Incroyable. A chque nouvelle, formule, aucune manifestation d’erreur. C’était rarissime de faire autant d’aligner autant de suites de calcul, sans qu’une formule ne contredise l’une d’elle.
Quand enfin, la dernière formule fut envoyée, elle resta.. sans réponse ! le professeur Trognon était épuisé. Il attendit. Il s’endormit, alors que le ciel s’éclaircissait au-dessus de la ville.
Le téléphone mobile restait étaient, silencieux, sourd et muet. Il fallait le recharger. Armelle maudit pêle-mêle la batterie, le progrès et les voleurs des compagnies de télécommunication, qui vendent fort cher du matériel souvent peu efficace. Elle chercha le chargeur, puis relia l’appareil à une prise électrique. L’appareil bipa après quelques secondes, et enfin un voyant commença à clignoter.
Dehors, il bruinait. Elle enfila ses bottes en plastique, ce qui fit bondir de joie le berger allemand. Il lui léchait les mains, courait jusqu’à la porte, revenait vers elle, repassait sa tête dans ses mains, et refonçait vers la porte. Il semblait dire :
- vite, vite.. voyons !
Elle prit un vieux pardessus râpé, toute joyeuse. Le bonheur d’Obélix était contagieux. Sa joie simple plus communicative et plus convaincante qu’une bonne blague. Malgré la petite pluie fine n’était pas froide, et tout brillait dans le paysage sans soleil. L’herbe verdissait brillante, le chemin brunissait. Le mouillé collait la poussière au sol dans des tons ocre jaune et rougeâtre. Il contournait doucement le petit bois, où les fougères buvaient avidement l’eau qui gouttait de leur longues feuilles colorées de ce vert puissant qui donne envie de s’arrêter et de baigner le regard pour l’y reposer.
Armelle marchait sans se presser, mais sans ralentir. Marcher ainsi, faisait du bien. L’air lui donnait des forces, qu’elle ressentait inépuisables. A tort, bien sur, mais qu’importe.. seule comptait l’impression présente. Obélix pénétrait prudemment dans les fourrés, la truffe en avant le cou tendu, les pattes avant légèrement fléchies. Tout était prêt à un repli rapide en cas de surprise, ou de découverte inattendue. Puis, ne trouvant rien, ou craignant d’être distancé par sa maîtresse. Il se reculait prestement, sautait le fossé et la doublait ventre à terre. Elle lui lança, moqueuse :
- alors, tu cherches ton copain ?
Elle pensait au gros crapaud doré, qu’Obélix débusquait parfois. Les deux animaux donnaient l’impression de se vouer un respect mutuel, qu’elle trouvait étonnant. Elle n’avait jamais vu le chien, mordre le batracien, qui, de son côté, ne montrait aucune peur apparente, aucun désir de fuite, ni d’agressivité envers ce mammifère poilu et inquisiteur. En outre, son territoire de chasse devait être étendu, car elle le ne voyait pas souvent au même endroit.
En cheminant ainsi, ils finirent par arriver à proximité du dolmen. Vu le temps qu’il faisait, elle ne risquait pas d’avoir de vision. Elle sourit. Les moments magiques sont rares, sinon ils ne seraient plus magiques. Elle continua sur la route, quand des aboiements la firent se retourner. Obélix courait vers le monument, la queue en panache avec cette voix qu’ont les chiens pour avertir que quelqu’un de connu arrive dans les parages.
- Roh ! Obéliix, viens, il n’y a rien à voir, aujourd’hui.., lui jeta-t-elle agaçée.
Mais le chien n’écoutait plus, il avait gravi la butte et disparut. Elle entendait juste un aboiement isolé, de temps à autre qui signalait sa présence. Elle appela. En vain. Elle dut se résoudre à grimper à son tour.
- c’est moins rigolo quand on est derrière à suivre, que quand on est devant à aller où on veut ! , se dit-elle en plein effort de grimpette.
Arrivée près du dolmen, elle resta plantée à reprendre son souffle, cherchant du regard le cabot. Il était là à quelques mètres, de l’autre côté du dolmen, le nez en l’air, à regarder quelque chose qu’elle ne voyait pas.
- enfin, Obélix, qu’est ce qu’il y a ?
Le chien ne broncha pas, ne bougea pas et continait à regarder fixement, malgré la bruine qui descendait toujours. La pierre grise brillait doucement, ce qui la détachait du gris terne du ciel bas. Ca le rendait plus haut que les nuages !
Se sentant moins lasse, Armelle contourna le roc, pour venir près du chien. Enfin, levant les yeux, elle vit.. ahurie, sur la pierre plate, ce qui hypnotisait Obélix.
- Un chat ! ça alors, tu parles d’une découverte ! tu me fais monter jusqu’ici pour voir un chat ! tu exagères là, Obélix.
Elle fit mine de partir mais le chien ne la regarda même pas. Il regardait le chat. Roux, zébré de blanc par endroit, un poil mi-long qu’on devinait soyeux, il était en train de faire sa toilette juché sur le dolmen et sous la pluie. Armelle l’observa. Le matou avait interropu sa toilette pour la fixer, comme dans l’attente d’une décision. Assis, la tête baissée, il regardait dans sa direction, la patte droite en l’air, les oreilles légèrement inclinées en dehors sur les côtés. Puis, ayant décrété, qu’il n’y avait ni danger, ni urgence, il se remit à se lécher du garrot vers le thorax, sans doute à l’endroit même, où l’arrivée d’Armelle l’avait dérangé.
Elle était abasourdie par le calme du félin, et admirative devant sa beauté. Il avait l’air d’un fauve que rien n’intimidait, et qui trônait sur un royaume. Elle avait un peu l’impression d’être de trop. Mais que faisait-il ici ? l’endroit n’était guère propice à la chasse, à part quelques mouettes rieuses qui passaient parfois, les environs du dolman, ne pouvaient rien abriter de consistant pour un chat. Et celui-ci ne semblait pas famélique ! il passait la paétte par dessus l’oreille avec énergie, comme si la salive imperméabilisait ses poils. Simple, précis, il finit tranquillement sa toilette, sans s’émouvoir ni du temps qu’il faisait, ni du public qui l’observait.
- Dis Obelix, t’as pas l’impression qu’on a l’air un peu malade, à regarder un chat sous la pluie ? fit-elle le visage mouillé.
Mais le matou s’était levé et avait disparu derrière, et le chien s’était précipité. Elle courut à son tour, juste le temps d’apercevoir la queue du berger allemand passer entre deux pierres sous la table du dolmen. Elle s’approcha prudente, puis entra. La visibilité était faible.
- au moins, on est à l’abri.
Le sol faisait une pente douce. Les deux animaux s’étaient éclipsés. Ca dexcendait doucement. Elle avaiçait. On ne voyait plus rien. Elle se souvenait de la vision de l’autre jour. Elle avait cru voir un tunnel de lumière jaune orangé qui faisait des ondulations. Le rayon de soleil avait du illuminer l’intérieur d’un trou ou d’un boyau. Mais en avançant, elle trouva que cela prenait l’allure d’un tunnel.
Elle appela Obélix. Le son s’étendit faiblement. Etrangement, il n’y avait pas de résonance. Le passage restait silencieux, et pas vraiment obscur. C’était très curieux. Il n’y avait pourtant pas d’éclairage, ni naturel, ni artificiel. Au bout d’un moment, au loin, elle aperçut un peu de lumière. Elle marchait sans avoir besoin de se baisser, se demandant où se terminerait le conduit souterrain. L’excitation la gagnait. Elle se sentait aventurière provisoire d’un moment qui trouverait sans doute bientôt son explication rationnelle et logique. Elle profita donc de ces minutes émotionnelles et farfelues qui offraient le parfum grisant de l’inconnu.
La lumière augmentait, laissant devinant une issue proche. Armelle distingua des formes, vit Obélix assit, semblant l’attendre et le chat un peu plus oin, couché près de ce qui devait être une sortie. Les deux animaux affichaient un calme olympien. Le contraire aurait sans doute affolé notre héroïne, qui, du coup, aurait panique devant l’inconscience d’une telle promenade. Lorsqu’elle arriva à la hauteur du chien, le chat se leva et disparut dans la lumière. Obélix le suivit et Armelle s’engagea. Elle cligna des yeux, sentit l’odeur de la végétation et entendit des bruits citadins. Il lui fallut s’accrocher avec les mains pour sortir du trou, se trouva environnée de buissons et de fourrés. Derrière elle, se tenait un haut mur blanc. Passant sous deux buissons, elle parvint à temps pour voir Obélix sauter par dessus une grille. Elle longea celle-ci, et ne trouvant pas de porte, prit appui sur le muret, pour escalader à son tour cette barrière pas trop haute heureusement. Elle se frotta les mains, en soufflant un peu.
Elle observa les environs. C’était un petit square plein d’ombres que protègeaient des ormes et des platanes. L’endroit clôturé qu’elle venait de quitter, était en fait un monument aux morts honorant les poilus de la Grande Guerre. L’entrée du souterrain était derrière le grand mur qui étalaient en lettres dorées, le nom des braves tombés au champ d’honneur pour la France. On y voyait le nom de la ville.
Armelle eut un coup au cœur.
Elle ne connaissait pas cette ville. C’était impossible, elle n’avait pas parcouru tout ce chemin à pied. C’était une erreur. L’insciption sur le monument était surment incomplète. Elle sentit dans sa main, le museau d’Obélix, qui cherchait à l’entraîner. Elle le suivit un peu hébétée. Il sortirent du square. Elle aperçut alors le chat qui traversait tranquillement la place puis la rue à l’ahtre bout, passant au milieu des voitures avec un aplomb que seule l’expérience ou l’inconscience peuvent donner. Le maton entra dans une boutique. En s’approchant un peu Armelle put lire :
« La Ruche Aux Mots »
- Bon, ben on est bien avancé maintenant.. elle regarda son chien.
Il s’était assis tranquille. Il la regardait de ses yeux noisette, les oreilles bien dressées, la gueule entrouverte, la langue bougeant dans un peit aller-retour significatif, et l’air franchement satisfait de lui, quêtant un signe de remerciement ou de récompense.
- t’as chaud, maintenant ! t’as l’air malin, tiens.. et maintenant, on fait quoi, hein..
Il se mit à gambader autour d’elle, puis alla marquer son nouveau territoire, au pied d’un panneau d’affichage, où Armelle lut une nouvelle fois, le nom de la ville. Elle frémit. Impossible. C’était un cauchemar. Il fait se réveiller. Il fallait retourner à Brocéliande. Elle se mit à reculer vers le peit parc. Il y avait personne. Heureusement, il était trop tôt pour que des gens viennent se promener ici. Elle tenait Obélix par la peau du cou pour qu’il ne reparte pas. Quand ils furent près de la grille protégeant l’arrière du monument. Elle parvient à se hisser. Vraiment pas pratique ces bottes pour ces exercices-là. Obélix n’eut qu’un bond à faire. Elle retrouva l’entrée..
Quand ils furent à la maison, il faut manger. Visiblement, le chien-loup avait, comme Armelle, une faim de loup ! ensuite l’aventurière s’affala dans son fauteuil. Elle était épuisée, mais encore énervée par sa découverte. En quelques minutes d’un souterrain, elle pouvait aller dans un autre lieu lointain de la bretagne. C’était prodigieux. Elle essayait de se convaincre qu’elle avait rêvé, qu’elle délirait. Elle n’y parvenait pas. Et puis le chien lui. Et ce chat ? n’importe quoi.. la fièvre sûrement.
- j’ai dû attraper du mal, en allant là-bas sous la pluie.. c’est idiot. J’ai jamais déliré comme cela.
Soudain elle remarqua son téléphone mobile. Il ne clignatait plus. Il était chargé. Elle pourrait appeler le docteur. Prendre un rendez-vous. Oui c’est cela, prendre un rendez-vous. Ça c’est du réel, du solide. Reprendre contact avec la réalité. Elle alluma le mobile, fit son code. Il s’éclaira et mis le message qui attendait toujours d’être lu sur l’écran.
- ah lui, c’est vrai, le SOS !
Elle lut alors, le nom de la villle suivi de « La Ruche Aux Mots » et suivi d’une phrase :
« peux-tu venir ? » signé : le Professeur Trognon ».
Elle regardait sans comprendre, les yeux écarquillés. Le message brillait doucement. Il n’avait pas l’air bien méchant, pourtant.
Le lendemain, elle refit le trajet. Et revint. Puis répondit au message.
A suivre..
© Copyright, Musardeur, Le livre infernal. 2008.