05. PAGES BRULANTES

              Le livre était sur le bureau, dans sa pche de papier. Il gisait en plein milieu, sur le sous-main, de travers, comme un produit de la chasse, jeté sur une table de cuisine. Malgré son inertie, son emballage, il se faisait provocateur, arrogant, insistant. Pépin, entrant dans la pièce, après avoir déjeuné. La vision du livre le gifla et acheva de le réveiller. Habituellement, comme il l’avait décidé dans son organisation hebdomadaire de ses travaux, avait réservé le dimanche, à une action sociale auquel il attribuait une grande valeur morale. Il était « donneur de voix ». il estimait que c’était une grande mission. Il s’agissait de transmettre le savoir. Le livre était à ses yeux, le véhicule suprême de la connaissance, de la science, de la découverte du monde, de l’histoire du passé, de la civilisation, de toutes choses nobles qui élève l’esprit par l’éducation. Mais, ce livre-là, il l’avait complètement oublié.
              Le professeur Trognon s’approcha du bureau, attrapa la poche, l’ouvrit et en tira le bouquin. Il était broché avec une couverture coloré, arborant un titre qui le surprit :
 
FAHRENHEIT 451
Par
Ray BRADBURY
 
Comme c’était curieux. Un ouvrage de science ? se disait-il. Sans le laisser réfléchir, le hasard lui aurait lancé un volume traitant des échanges thermiques, ou sur les conséquences physiques des hautes températures.. mais en page de titre, il vit sous le titre, le mot « Roman ». Etrange litre pour un roman. Décidément, que de surprises. Il se décida à s’installer confortablement dans son fauteuil, près de la fenêtre. Il se mit à lire, sans s’arrêter, du début à la fin. Captivé, il avala page après page sans se relever. Quand il eut fini, il resta songeur, le livre sur les genoux.
 
 
              Ce n’était pas vraiment de la science-fiction, mais plutôt de la politique-fiction. Cela racontait les tribulations d’un pompier dans une société, qui interdisait le livre. Les pompiers avaient pour mission justement l’élimination de tous les ouvrages et de leurs propriétaires. Les médias (télévisés en tête) jetaient d’une propagande de consommation et une communication d’un style proche du réel qu’on appelle aujourd’hui « télé-réalité » ou « reality-show », utilisant une technique de direct, avec des mises en scène, préparées et mensongères s’il le faut. Le titre du livre était en rapport avec niveau thermique qui déclenche la combustion spontanée du papier en présence de l’air.
              « C’est tout un symbole. » pensa le professeur, « un livre qui parle de la destruction des livres ! »      
 
              Il était enthousiaste, surexcité. Il démarra son ordinateur portable, qui se mit à ronronner, qui bipa. L’écran s’alluma. Le système d’exploitation lança sa musique de générique tel un héraut ouvrant un tournoi de chevalerie. Pépin cliqua sur son navigateur « Vapartout » et rejoint le site de lecture audio auquel il était affilié. Il contacta alors ses amis et leur proposa de présenter ce livre comme étandard ou comme symbole du site. La proposition étonna Valentin qui traouvait bizarre de faire d’un seul livre, la représentation de tous les autres. Surtout que ce livre n’était pas dans le domaine public.
              Le professeur Trognon était désappointé. Sa déception était à la hauteur de son espérance soudaine. Il ne se reconnaissait plus vraiment. Lui si mesuré d’ordinaire, s’enflammait. Cet ouvrage l’avait pris aux tripes et exprimait exactement l’importance qu’il donnait aux livres.
Son cerveau bouillait à 232,78 °Celsius ! il eut alors une idée fumante !
 
 
              il retourna à «La Ruche aux mots » dès le lendemain. Madame Labeille faut ravie de le revoir et s’excusa pour l’accident causé par Cornelius. Pépin éluda d’un geste vers sa tête montrant qu’il avait complètement oublié sa bosse. Il grimaça en la touchant provoquant le fou-rire de la libraire. Il lui parla du livre et comme il souhaitait trouver une solution pour que celui-ci soit accessible à tous, il voulait organiser une réunion. Avait-elle une salle. Amuésée et séduite par la fougue du jeune homme, elle proposa son arrière-boutique : celle qui contenait les livres les plus anciens. Elle lui fit visiter. Il fut stupéfait en voyaent cette pièce qui semblait d’un autre temps. Les murs étaient couverts de bibliothèques d’époques et de styles variés, boisées, à portes battantes, ou à vitres coulissantes, certaines possédaient un abattant pouvant se transformer en pupitre ou en secrétaire, d’autres étaient recouvertes d’une tenture de velours vert ou rouge sombre. Des murs de livres. Vieux. Anciens. Très anciens. Les livres étaient tous reliés, on sentait l’odeur de ce vieux papier, mêlée à celle du bois ciré, un mélange doux, sans aggressivité. Les reliures qu’on pouvait apercevoir, étaient en carton, en peau, en cuir, en tissus. Certaines portaient des inscriptions dorées visiblement faites à la main. Cela devait dater de l’apoque où le livre était encore un artisanat et non une industrie.
 
 
              Au centre d’un très grand tapis composé de carreaux blancs et noirs, trônait une splendide table rectangulaire, allongée, légèrement arrondie sur tous les bords. Le plateau était épais, incroyablement épais, au moins dix centimètres. Pépin ne doutait pas une seconde. Les moments de son enfance, passé auprès de son père, ancien charpentier de marine, à travailler le bois, lui avait appris à percevoir intuitivement la matière végétale la plus brute, la plus serrée à la suite d’un long séchage naturel, en plein air.
-            Du chêne.. du chêne massif ! pensa-t-il ébahi.
-            Alors ? cela vous convient-il ? fit Fabiche engageante avec un sourire au coin des lèvres et le cil frémissant. Elle avait retiré ses lunettes.
-            Oui, c’est.. c’est somptueux, parvint-il à articuler.
 
Cornélius était affalé au milieu de la table, et le comtemplait, l’air lointain, comme s’il regardait un objet d’art, comme l’œil du lion regardant sa proie alors qu’il n’a pas faim. Le professeur Trognon sentir un frisson lui parcourir le dos et sursauta. Décidément ce chat le mettait mal à l’aise.
-            pardon ? fit-il.
-            Je disais : pour quand voulez-vous la réunion ? insista Fabiche en s’aprochant de lui. Il sentit à nouveau le parfum, l’envelopper doucement.
-            Heu, vendredi soir ?
-            Ah, c’est que le lendemain je travaille.., dit-elle avec un air de reproche.
-            Ah, je .. pardon.. comment faire..
-            Et le samedi soir ? , elle inclinait la tête, avec un sourire radieux.
-            Ah ben, oui, bonne idée, exactement, le samedi soir.. c’est évident pour les utres aussi.
 
Il la remercia chaleureument. Elle s’amusait de son trouble. Il lui dit au revoir de mille manières. Quand il fut parti, elle se tourna vers Cornelius, et lui fit d’un air enchanté :
-            il est vraiment trop charmant ce jeune homme !
 
              La réunion devait rester secrète, aussi Pépin envoya des messages textes par téléphone mobile et non par internet à ses correspondants. Comme Valentin ne semblait pas approuver son idée, il décida de ne pas le solliciter. Nico Latekno fut le premier à répondre. Il était « ok ! ». Toujours pressé, mais précis, il avait la ponctuation parfaite. Ce court message avait fait sourire le professeur. Ah, il le reconnaissait bien là, ce Nico, toujours partant pour un truc sans savoir vraiment où cela menait. Voilà bien un aventurier comme on en fait plus. Ingénieux, des gadjets o l’utilité inattendue dans les poches. C’était vraimment un ami précieux.
              Un jour plus tard, ce fut Lorelei qui répondit :
-            ça tombe bien, j’ai repos ce week-end, c’est chouette de se retrouver en vrai !
 
En effet, c’était une bonne occasion de faire connaissance ! pensa-t-il. Il connaissait le goût de cette hôtesse de l’air pour les romans policiers. Elle devait donc avoir des capacités de déductions logiques et une connaissance de la psychologie humaine développée, non seulement par ses lectures, mais aussi par ses pratiques professionnelles. Et puis, bon, autant se l’avouer, le côté planant de son métier, le faisait fantasmer un peu aussi. Bon. Il rit tout seul, se traita d’idiot. De toute façon, elle lisait bien, cela au moins c’était sur !
 
Armelle fut la plus longue à répondre. Le message arriva le vendredi soir, la veille de la date prévue. Pépin eut un soupir de soulagement. Le message était court lui aussi : «  ok j’arrive ». il l’aimait. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Peut-être son langage carré, direct. Elle émanait la puissance de la terre, armée de certitudes. Un mélange de foi et de rocs formaient une âme résistante aux doutes et aux événements. Sur ce qu’il savait d’elle, dans ce qu’elle lisait, dans ce qu’elle écrivait, on retrouvait de cette Bretagne traditionnelle, rustique et maritime, attachée aux réalités.
              Soulagé, il reprit ses études et ses travaux sur la chimie de la pomme.
 
 
              Les produits du terroir normand ne le fascinaient pas vraiment. Mais il se souvenait que le Docteur Typhon prétendait tout faire avec les pommes. Il rechercha donc le plus de documents possibles que son arrière-grand-père avait laissé sur la pomme et ses nombreux dérivés chimiques. Par exemple, la pomme crue avait des propriétés désaltérantes, alors que, cuite, elle attisait la soif. Il lui trouvait aussi de pouvoir de jouvence, à condition de la manger sur l’arbre. Ce qui fit rire Pépin, qui imaginait son aïeul croquant la pomme à cheval sur l’arbre. Quand au cidre, il considérait son pouvoir reconstituant indéniable. Les bulles permettaient aux travailleurs de force, d’évoluer avec moins de peine. Quand à l’alcool de pomme, il avait carrément des vertus curatives antimicrobiennes si perfomantes, que, son seulement on pouvait traiter les rhino-pharingites, les rhumes, les grippes avec du calvados, pincipalement dans la compote de pomme, mais aussi la tubercule, les pleurésies, les bronchites et de nombreuses affections respiratoires avec des inhalations de vapeur d’alcool de pomme contenue dans des barriques de chêne.
              Pépin avait un sourire ingénu devant ces « remèdes de bonne femme », que prolongéait une certaine tendresse pour cet ancêtre ayant travaillé de longues heures sur un sujet, un peu suranné de nos jours.
- Encore que, pensa-t-il. C’est vrai que la pomme est recommandé contre l’hypercholestérhémie et qu’elle a un pouvoir anti-oxydant. Quelque part, c’est bien le fruit de la jouvence ! et pour le calva, son utilisation pour chouter le malade, et provoquer une hyperthermie passagère aide le corps à lutter quelque temps contre l’aggression microbienne. C’est juste un petit coup de pouce à la réaction de défense de l’organisme              contre les germes pathogènes. Après tout, ça peut se défendre, mais bon, faudrait pas en abuser non plus !
 
              Il trouva un cahier de brouillon, qui comportait de nombreux schémas crayonnés représentant des tuyaux bizarres avec quantités de récipients, de plus en plus gros. Cela finissait par constituer des circuits étranges avec des calculs chimiques en marge et des cotes définissants la longueurs des tubes et les dimensions des boules, dans lesquelles étaitent indiquées les volumes. Pépin était redevenux très sérieux. Il y avait trop de détails pour être une simple élucubration, une fantaisie imaginaire, comme cela lui arrivait souvent à lui aussi. Non, c’était trop précis, trop minutieux, chaque schéma était une évolution du précedent, parfois une amélioration, mais dans quel sens, parfois un changement de direction. Le cahier semblait fonctionner comme un arbre, avec des brindilles mortes et d’autres qui se développaient un peu plus. Il était stupéfait. Cela devait représenter des années de travail. Un truc a givrer complétement une bande de mathématicien de haut vol.
 
              Il avait pris une calculette, mais il la rangea aussitôt se traitant d’imbécile. Il ouvrit la liaison de son ordinateur vers les gros calculateurs de l’université. Il travailla tard, très tard. Le temps n’existait plus. A chaque nouvelle formule qu’il tapait sur le clavier, répondaient des milliers de lignes de code. Hallucinant. Quand le défilement s’arrêtait, il restait bouche bée quelques secondes, avant de réaliser, qu’il fallait entrer la formule suivante. Et les calculateurs répondaient encore, sans hésiter. Cela paraissait presque trop facile. Incroyable. A chque nouvelle, formule, aucune manifestation d’erreur. C’était rarissime de faire autant d’aligner autant de suites de calcul, sans qu’une formule ne contredise l’une d’elle.
Quand enfin, la dernière formule fut envoyée, elle resta.. sans réponse ! le professeur Trognon était épuisé. Il attendit. Il s’endormit, alors que le ciel s’éclaircissait au-dessus de la ville.
 
 
 
A suivre..
 
 © Copyright, Musardeur, Le livre infernal. 2008.
 
 

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